Delvaux

Sébastien Delvaux

Hôte : Laurent Jourquin

Vernissage : samedi 16.09.2023 / 15h – 19h

Exposition : du samedi 16.09.2023 au samedi 14.10.2023 & sur rendez-vous

Finissage : samedi 14.10.2023

Texte – Sophie Delhasse
‘Projet Delvaux’, l’art même N°91, septembre-décembre 2023, page 52.

Un nom, une identité, une marque. C’est de là que tout démarre dans l’exposition de SÉBASTIEN DELVAUX (°1972) présentée cet automne chez V2vingt, espace situé au cœur du quartier de Schaerbeek, dans l’immeuble qui abrite l’atelier de l’artiste. Un glissement qui pourrait agir comme une blague, celui d’une homonymie entre le nom du plasticien et un des patronymes les plus répandus en Belgique francophone, porté à la renommée au XXe siècle par des artistes belges (1) ainsi que par une éminente marque de maroquinerie de luxe. Projet DELVAUX questionne, par porosité, les notions de marketing, de privatisation, d’auctorialité ou de divertissement propres au monde de l’art, à partir d’un environnement illusionniste aux allures de boutique de célèbres marques dont nous avons tous un logo incrusté dans le cerveau.

Le projet DELVAUX se construit comme un tout indissociable, bien que composé d’un ensemble hétérogène d’objets, de mobiliers, de productions graphiques, d’activations et de prolongements en ligne. Il englobe l’espace d’exposition pour le transformer en une installation immersive suscitant la participation du visiteur qui contribue à l’existence du projet, à sa présence tant dans le lieu que sur les réseaux. Le temps fait également partie de l’équation puisque l’artiste nous invite à une manifestation à durée limitée : le lancement d’une collection. L’origine de la proposition touche à l’intime ; le prénom de l’artiste éveille son intérêt pour le graphisme de la marque SEB tandis que son nom l’assimile à la marque Delvaux, entreprise de maroquinerie de luxe fondée en 1829 : “Là encore, étant plus jeune, je me sentais lié à la marque, j’avais le sentiment naïf qu’elle me donnait un certain statut, une existence, j’en faisais partie. Je n’ai pas tout de suite compris que ce lien me dépossédait”2. Dans un mouvement de réappropriation, l’artiste crée, à partir de sa propre signature, une nouvelle identité graphique et visuelle, un label. Apposé sur un ensemble de supports tels que l’affiche, le néon, le fond d’écran (3) ou le tampon, ce nom devenu logo est omniprésent dans l’espace et permet à l’artiste de souligner l’embarrassante connivence entre les codes et les stratégies du commerce et de l’art contemporain, qu’il tente de désamorcer en proposant des modèles alternatifs d’échange et de création. Trois séquences s’entremêlent dans l’exposition : la signature DELVAUX, la collection DELVAUX et la collaboration fictive entre SEB × DELVAUX. Les deux premières s’activent lors de moments performatifs rejouant le cadre événementiel des soirées de lancement : un instant privilégié pour susciter l’envie et l’achat immédiat. Le visiteur est invité à l’occasion du vernissage et du finissage de l’exposition (4) à prendre place sur le tapis rouge, devant une surface estampillée “Collection DELVAUX”. L’ensemble des clichés réalisés sur le stand photo sont diffusés en direct sur les réseaux sociaux et partagés tout au long de l’exposition.

Un retournement de statut : d’anonyme, le visiteur devient ambassadeur et co-auteur de l’action. Il participe à une ambiance de divertissement ainsi qu’à la construction d’une communication virtuelle instantanée, à l’image des soirées de vernissage. Un deuxième temps d’activation est proposé autour d’un comptoir construit par l’artiste à partir de lattes de bois à la visserie apparente. Un design DIY, accessible à tous, emprunté à Enzo Mari et son projet “Autoprogettazione ?”. Un hommage rendu au designer italien et à son ouvrage paru en 1954, permettant à chacun de réaliser son propre mobilier, libre de droits. Autour du comptoir, est proposée une séance de dédicace d’une édition en libre accès. À côté de celle-ci, une affiche est mise en évidence, un agrandissement d’une procuration donnant le droit à un tiers de signer à la place de l’artiste, d’usurper sa signature. Par ce geste, Sébastien Delvaux sape la notion de l’auteur et la démocratise en rendant accessible à tous le signe légal supposé certifier l’authenticité et la valeur d’une œuvre. Ce jeu, à la frontière entre propriété intellectuelle et partage du geste de création, est également présent dans la collection des vingt t-shirts DELVAUX. Bien que la collection soit constituée de pièces uniques non disponibles à la vente, une partie des t-shirts sont réalisés à partir de typographies libres de droits et accessibles en ligne sous forme d’archives ouvertes. Une mise à disposition gratuite de fichiers permettant de reproduire soi-même le vêtement suivant le respect de consignes données par l’artiste. Enfin, une arrière-boutique est-elle volontairement dissimulée, comme le serait un espace privé où se pratiquerait un commerce d’objets de contrefaçon. Une zone grise (5), intermédiaire, où est diffusé le diaporama “promotionnel” de la collaboration fictive de SEB × DELVAUX, constitué de collages numériques teintés d’humour. L’accès restreint aux heureux visiteurs présents durant son activation — aucune trace ne sera conservée une fois l’exposition terminée — répond au cadre légal de la protection des marques, l’artiste se positionnant lui-même en marge de la loi dans sa réappropriation visuelle des logos. La proposition de l’artiste dépasse l’environnement hyperréaliste à la lisière entre fi ction et réalité. Ce qu’il convoque ici est une expérience partagée nourrie d’un constat sur les coulisses du monde de l’art. La volonté de dénoncer ou de critiquer la frontière glissante entre art, commerce, marchandise et branding prolonge une réflexion menée depuis plusieurs décennies par d’autres artistes, à l’image de The Store de Claes Oldenburg ou encore The Belly Store de General Idea (1967/1994). Sébastien Delvaux partage d’ailleurs avec ces derniers une remise en question du copyright, ou droit d’auteur, qu’il pratique par le détournement de la signature en logo. Sa répétition agit comme la métaphore d’une dépossession ou d’une perte de l’identité de l’auteur. C’est là que le projet de Delvaux acquiert une autre dimension. Il se positionne dans la lignée d’un Philippe Thomas (1951–1995) ou d’autres, artistes et théoriciens, ayant participé à la déconstruction de la notion moderne d’auteur. Il y a en effet chez lui une approche conceptuelle de l’art, une volonté d’en déplacer les enjeux hors de sa matérialité et de sortir de la privatisation une création artistique envisagée comme bien commun.

1 Le peintre Paul Delvaux (1897-1994) et le cinéaste André Delvaux (1926-2002).

2 Sébastien Delvaux, note d’intention, Projet DELVAUX, 2023.

3 L’œuvre utilisée en fond d’écran est téléchargeable en ligne sous la forme de NFT, forme qui intéresse l’artiste par la redistribution de l’acte de possession.

4 Une troisième activation aura lieu durant l’exposition.

5 “[…] contrairement à la croyance populaire selon laquelle [les contrefaçons] nuiraient au capital de la marque originale, [ces contrefaçons] lui seraient bénéfi ques. Il n’y a pas de cannibalisation car les acheteurs de contrefaçons ne sont pas en mesure d’acheter les originaux. […] Le degré de reconnaissance de la marque augmente, y compris sur le marché des produits originaux du fait que plus de consommateurs ont eu accès et ont été exposés à ces produits qui autrement auraient été hors d’atteinte.” S. WHITWELL, “Brand Piracy : Faking it can be Good” cité dans Insaf Bekir, Sana El Harbi, Gilles Grolleau, “Imitation et la contrefaçon peuvent-elles être bénéfi ques aux fi rmes originales ?”, Revue Internationale de droit économique, 2009/1, p. 55, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2009-1-page-51.htm#no14,%5Bconsulté le 21 juillet 2023